INTERVIEW DE DOCTORM64 (MILTON GUASTI) : AM2R, ORI | Par Iglou |
Sorti en 2016 pour les 30 ans de la série Metroid, AM2R (pour Another Metroid 2 Remake) est un projet amateur de remake de Metroid II, conduit par l'Argentin Milton Guasti (alias DoctorM64) après 8 ans de développement, avec l’aide d'une communauté de développeurs amateurs.
L’histoire retient que 24h après la sortie du jeu, Nintendo en fait interdire la diffusion. La sanction est cruelle. Seulement, Nintendo préparait précisément son propre remake de Metroid II à la même période, projet confié au développeur espagnol Mercury Steam, sous la houlette du producteur historique de la série, Yoshio Sakamoto… ce qui permet de mieux comprendre l’empressement de Nintendo à interdire le projet.
La suite de l’histoire n’a également pas été malheureuse pour DoctorM64. Le « fan remake » aura fait forte impression, et le talent de Milton Guasti pour le level design ne sera pas passé inaperçu : Moon Studios va ainsi le recruter afin d’aider à la création du level design de Ori and the Will of the Wisps !
Milton Guasti a eu la gentillesse de répondre à quelques questions concernant AM2R et bien sûr Ori 2.
[GF] : Bonjour, tout d'abord, merci d'avoir accepté cet entretien ! Pourriez-vous commencer par vous présenter de manière générale et dire ce que vous faisiez avant d'être développeur ?
[DoctorM64] Bonjour, je m'appelle Milton, je suis originaire d’Argentine. Je travaille comme concepteur de jeux professionnels depuis 2017, mais avant cela, je travaillais comme technicien du son dans mon propre studio d'enregistrement. C'est un sacré changement de carrière !
[GF] : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre relation avec la série Metroid ? Comment l'avez-vous découverte ? Par quel épisode avez-vous commencé ? Quel est votre épisode préféré et pourquoi ?
Ici, en Argentine, la console Nintendo importée la plus populaire était la Famicom (NES japonaise). Tout ce qui était disponible en cartouche au Japon était disponible ici. Le Metroid original n'est pas sorti en cartouche, donc je ne suis jamais tombé sur ce jeu à l'époque (ndlr : le jeu est sorti initialement sur Famicom Disk System).
Lorsque j'ai vu Super Metroid sur la SNES, j'ai pensé qu'il s'agissait d'une version plus lente de Turrican (jeu d’action sorti sur micro-ordinateurs et Mega Drive). C'est après avoir joué à Metroid - Zero Mission sur Game Boy Advance que j'ai commencé à me plonger dans la série en 2D et que j'ai apprécié la complexité de la conception des jeux.
Mon jeu préféré à ce jour est Metroid Prime. Le passage à la 3D et l'exploration à la première personne étaient parfaits pour la franchise.
[GF] : Comment est née l'envie de faire un remake de Metroid II ? Peut-être une frustration de voir beaucoup de Romhack et de Fangame qui n'ont jamais atteint la fin du développement ?
Pas du tout ! C'est en jouant à Zero Mission que j'ai eu envie de faire ce remake. Dès que je l'ai terminé, j'ai voulu jouer au prochain jeu de la série avec ce style de gameplay. Metroid II semblait assez daté et méritait certainement d'être refait. De plus, je n'avais pas encore joué au reste de la série à ce moment-là, donc le refaire en couleur me semblait assez simple et direct. J’avais tort.
[GF] : Vous avez commencé à développer sans aucune expérience dans le monde du jeu vidéo.
J'ai commencé par créer des scripts et des personnages avec le moteur Mugen (un moteur de jeu de combat), puis je suis passé à Game Maker et j'ai fini par apprendre à coder.
[GF] : Comment avez-vous procédé pour ne pas vous éparpiller entre le code, le gameplay, le level design, les graphismes, etc. ?
Je me suis fixé des objectifs spécifiques pour chaque étape du développement, en prenant toujours Zero Mission comme référence. Le fait d’être guidé par quelque chose dont on sait qu'il fonctionne très bien permet d’éviter bien des conjectures.
Pour la conception des niveaux, j'ai dû jouer aux autres jeux et examiner comment les mondes étaient construits, comment les niveaux apprenaient au joueur les mécanismes et intensifiaient les défis.
[GF] : Et pour l’équilibre entre la préservation et la nouveauté, comme l'ajout de nouvelles zones par exemple ?
J'ai essayé de me mettre à la place de Nintendo, en me demandant ce que je changerais si je devais refaire officiellement Metroid II. Cela signifie que je devais veiller à ne pas introduire de contenu en contradiction avec le reste des jeux de la saga ; une bonne excuse pour jouer à ces jeux également !
L'ajout de zones supplémentaires a demandé beaucoup de temps de conception. Tout ce que j'ai ajouté devait interpeller le joueur d'une manière distincte, sans se sentir hors de propos. Il a fallu quelques révisions, mais je suis globalement satisfait de la façon dont les nouveaux endroits sont perçus.
[GF] : Si vous deviez vous souvenir d'un élément du remake dont vous êtes le plus fier, quel serait-il ? Personnellement, j'ai adoré le fait que vous ayez utilisé les tuyaux qui traversent parfois l'écran dans le jeu original pour créer le système de téléportation dans le remake, c'est du génie.
Merci !
La Reine est l'aboutissement de mon parcours dans la création de créatures complexes à plusieurs sprites. J'ai mis au point un système compliqué pour dessiner les pattes qui suivraient le terrain et positionneraient correctement les membres en rotation. Il s'avère que cela s'appelle la cinématique inverse, et je n'avais aucune idée que cela existait déjà. La destruction de l'environnement autour de la reine et l'ajout de l'animation spéciale de finition ont également été très amusants.
[GF] : Parlons rapidement de la sortie du jeu et de l'interdiction de Nintendo. Comment l'avez-vous ressentie ?
Au début, il y a eu des plaintes DMCA (ndlr : Digital Millenium Copyright Act – la loi américaine protégeant les droits d’auteurs pour les œuvres numériques) contre les sites hébergeant les fichiers. J'avais entendu parler d’individus qui déposaient de fausses notifications de retrait en se faisant passer pour Nintendo. Il était donc possible que ces retraits ne soient pas légitimes. Après la première mise à jour, j'ai reçu un e-mail officiel avec un « DMCA takedown », cette fois il n'y avait aucun doute, et j'ai dû arrêter.
Cela ne m’a pas surpris, je m’attendais même à ce que cela arrive un jour ou l'autre. Ce à quoi je ne m'attendais pas, c'est que cela se produise si rapidement. Peut-être que la popularité soudaine et inattendue du projet a accéléré le processus ?
[GF] : Qu’avez-vous pensé du remake de Mercury Steam sorti postérieurement (en 2017) sur 3DS ? Le nom « AM2R » a désormais une nouvelle signification.
C'était vraiment intéressant à jouer. La façon dont ils ont interprété le matériau d'origine était fascinante, et la façon dont ils ont animé les métroïdes et Samus était magistrale.
J’avais prévu de changer le nom du projet « AM2R » pour quelque chose qui n’aurait pas sonné comme un titre provisoire. Mais le nom est devenu très populaire. Heureusement que je l’ai gardé !
[GF] : Quelque temps après la sortie du remake, vous avez été contacté et engagé par Moon Studios pour travailler sur Ori and the Will of the Wisps en tant que concepteur de niveaux. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le métier de level designer ?
Je suis arrivé chez Moon alors qu'Ori and the Will of the Wisps était déjà en cours de production. Une bonne partie de la structure globale du monde était donc déjà planifiée, ce qui signifie que nous connaissions le thème général et les mécanismes de chaque zone, mais que les détails de chaque phase de jeu restaient encore à concevoir.
Chaque fois qu'une nouvelle capacité était implémentée par le département technique, tous les concepteurs de niveaux créaient des terrains de jeu pour pousser cette mécanique jusqu'à ses limites et s'amuser avec.
Au moins chez Moon, nous avons beaucoup de place pour l'expérimentation, pour trouver un gameplay amusant et créer des défis intéressants avec ces mécanismes. Ensuite, nous les intégrons dans la partie du monde où ces mécanismes ont un sens.
Travailler avec des artistes, des programmeurs, des scénaristes et des producteurs a été formidable. Nous nous donnions mutuellement des informations en permanence, tout le monde avait son mot à dire.
[GF] : Entre le développement d’AM2R et le travail au sein d’une équipe de taille moyenne, quelles sont les grandes différences ?
Lorsque je suis arrivé chez Moon, j'étais habitué à coopérer avec d’autres personnes via Skype. Le nombre de personnes était un peu écrasant et la vitesse à laquelle elles livraient leurs travaux était folle.
Pour AM2R, j'étais au contraire habitué à de longs délais d’attente : les collaborateurs utilisaient leur temps libre pour livrer les assets, et ce processus pouvait prendre des semaines, voire des mois.
J'ai dû accélérer le rythme chez Moon, mais j'ai beaucoup appris auprès de personnes extrêmement cool et talentueuses.
[GF] : Travaillez-vous toujours pour Moon Studios ? Je crois avoir vu sur Twitter que vous travaillez sur d'autres projets en ce moment.
Oui, et j'aimerais pouvoir vous parler de notre nouveau jeu, mais vous savez... Accord de confidentialité et tout ça !
J'ai quelques petits projets personnels et je participe occasionnellement à des game jams, principalement pour me lancer de petits défis de développement et pour apprendre quelque chose de nouveau.
[GF] : Questions plus générales sur les jeux vidéo : À quoi jouez-vous en ce moment ? Et comment voyez-vous le monde du jeu vidéo dans quelques années ?
J’ai récemment commencé Cyberpunk 2077, j’ai attendu qu’il soit stable sur PC, et j’ai passé un très bon moment jusqu’à présent.
Et pour ce qui est de l’avenir ? S’il y a bien quelque chose que ce secteur possède, c'est l’imprévisibilité. Tout peut arriver, et c'est à la fois magnifique et terrifiant. Je serai heureux si j'ai la chance que mon travail soit apprécié par les gens, quelle que soit la situation à l'avenir.
[GF] : Merci beaucoup pour votre gentillesse. Nous vous souhaitons le meilleur pour l'avenir.
Interview réalisée le 04/05/2023
A lire :
- Test + ROM d'AM2R
- Tous les avis pour Ori and the Will of the Wisps
- Site du projet AM2R
- English version of this interview