JEUX VIDEO ET BD... FRANCO-BELGE ! Article rédigé par Blondex

A l'heure des adaptations innombrables de bandes dessinées en jeux vidéo, difficile d'y voir clair en réalité, car bien souvent, une grande partie de cette production résulte d'un dessin animé ou du film tiré de la bande dessinée. L'ensemble de cette production, adaptations indirectes confondues, n'en demeure pas moins considérable ; aussi, voyez-vous, je sens monter en moi un fort sentiment de fierté bien française, et j'ai envie de vous parler de BD françaises ! Bon allez, trêve de franchouillardises déplacées, car après tout, il n'est pas seulement question que de Français ici : nos amis Suisses et Belges ont aussi toutes leurs places ! Mais si je vous parle de bande-dessinée franco-belge bien de chez nous, ce n'est pas seulement parce que je suis fan de Tintin, c'est aussi parce que le sujet est loin d'être ignoré par le jeu vidéo.


> Les premiers jeux

Les bandes dessinées à succès ont très vite fait l'objet d'adaptations, à commencer par Astérix, mais aussi les Schtroumpfs, popularisés bien au-delà de l'Europe par une adaptation en dessins animés signés des studios Hanna Barbera (Les Pierrafeu, Scoubidou...). C'est d'ailleurs grâce au succès de la série animée, débutée en 1981, que les Schtroumpfs parviendront à percer dans le marché nord-américain, et intéresser ainsi le secteur du jeu vidéo. En 1982, les petits lutins bleus de Peyo seront ainsi les premiers héros de BD franco-belges à être transposés dans l'univers vidéoludique.

Les Schtroumpfs (ici dans la version Colecovision de 1983) doivent à leur popularité outre-atlantique la première adaptation d'une BD en jeu vidéo

Durant cette période, la licence connaîtra un grand nombre d'adaptations. La première d'entre elle, et la plus notable, est Smurf - Rescue in Gargamel's Castle (Schtroumpf - Au Château de Gargamel), sorti initialement sur Atari 2600 puis sur Colecovision. Le but, très simple, est de contrôler un schtroumpf, parti de son village secourir la schtroumpfette, retenue prisonnière par le méchant Gargamel. Suivront également des jeux éducatifs, comme The Smurfs Save the Day (basé sur la musique), ou Smurf Paint'n Play Workshop.

Je vous parlais aussi d'Astérix, car lui aussi fera l'objet d'une adaptation sur Atari 2600 en 1983. Ce jeu ne sortira qu'en Europe, comme la plupart des jeux adaptés de BD franco-belge, mais sera néanmoins adapté pour le marché nord-américain, en proposant le bien connu Taz, des Looney Tunes. Le jeu connaîtra d'ailleurs une suite sur le même support, Obélix... où l'on contrôle toujours Astérix !

Astérix sur Atari 2600. Oui bon, je sais, on ne sait pas trop ce qu'on voit Obélix, la suite sur Atari 2600, déjà graphiquement plus travaillée puisqu'on reconnaît bien Astérix, Obélix et les Romains !

Outre ce jeu, de nombreuses autres productions estampillées Astérix sortiront sur des ordinateurs de jeux européens, comme l'Amstrad, le Commodore 64 ou le ZX Spectrum. Mais le public potentiel limité à l'Europe, excluant les marchés nord-américain (à l'exception des Schtroumpfs, bien sûr) et japonais, est évidemment un frein à une expansion considérable de la production vidéoludique adaptée de la bande dessinée européenne.


> Affirmer une identité européenne du jeu vidéo

Astérix en arcade, développé par Konami, atteint les qualités ludiques d'un Turtles in Time, en conservant une fidélité absolue à la BD A quoi reconnaît-on facilement un jeu vidéo américain ou japonais ? Bien souvent, ils sont des adaptations de licences locales : les comics sont adaptés par des développeurs américains, et les mangas par des japonais. Évidemment, à chaque règle son exception, et concernant la BD franco-belge, l'adaptation arcade d'Astérix en 1992 est signée du japonais Konami, dans un beat'em all étonnamment fidèle à l'esprit de la BD. A ce jour, elle reste à mon sens la meilleure adaptation d'Astérix... et on la doit à des Japonais !
Hormis ce jeu ainsi que plus tard, quelques productions Sega sur Master System et Megadrive, ce sont principalement des Européens qui auront l'idée de développer des adaptations de BD en jeux vidéo. A la fin des années 80, les éditeurs européens sont encore discrets dans le monde vidéoludique, et plus spécialement le secteur des consoles. Ubisoft n'est encore qu'un distributeur, et Infogrames un nain à l'échelle du monde du jeu vidéo.

North & South (Les Tuniques Bleues) dans sa version NES, un jeu mêlant stratégie et action Avant de lancer leurs séries vedettes Alone in the Dark et V-Rally, les premiers jeux vidéo d'Infogrames sont à chercher du côté de la BD : ainsi la marque au tatou sort sur différents ordinateurs (Atari ST, Commodore 64...) les adaptations de Blueberry en 1988 et des Tuniques Bleues (North & South, en 1989). Les différents ordinateurs de jeux que sont les Amstrad CPC, Commodore 64 ou Atari ST étant durant les années 80 l'apanage des éditeurs européens, il est ainsi normal d'y voir fleurir de nombreuses adaptations de BD (Tintin, Gaston Lagaffe avec le jeu M'Enfin...).

Sega avait bien compris le potentiel du marché européen, en misant beaucoup sur Astérix pour sa Master System Le succès grandissant des consoles de jeux en Europe (NES et Master System) allait toutefois redistribuer les cartes et forcer les éditeurs à sortir des adaptations vidéoludiques de BD à un rythme plus soutenu. Une adaptation du jeu North & South sortira ainsi sur NES en 1990, mais Sega sera le premier à avoir présenté une adaptation de bande dessinée plus mémorable, avec (toujours) Astérix sur Master System en 1991. Le jeu sera un temps un argument de vente de la Master System en France, signe d'une réelle demande du marché local pour ce type d’adaptations. Pour le vaillant gaulois, ce sera le début d'une longue série, qui fera de la BD Astérix la licence la plus adaptée en jeu vidéo... et de loin !

En effet, en 1993 Infogrames obtient la licence Astérix pour les jeux sur consoles Nintendo, tandis que Sega la conserve pour ses consoles. Dès lors, chaque camp reçoit des jeux Astérix différents. D'un côté, Infogrames développe ses versions d’Astérix sur NES, SNES et Game Boy ; de l'autre, Sega sort Astérix and The Secret Mission sur Master System, puis Astérix and The Great Rescue sur Megadrive, Master System et Game Gear (cette fois développé par le studio britannique Core Design)... et tout ça en 1993 ! La production continue d'ailleurs de plus belle en 1995, avec Astérix & Obélix sur SNES et Game Boy, et Astérix and The Power of Gods sur Megadrive. Ouf !

Les Schtroumpfs autour du Monde, version SNES. Graphiquement très joli, mais rien de bien original sur le fond... et même plutôt dur pour le public ciblé Les autres grandes bandes dessinées ne seront pas non plus ignorées, même si on retrouve souvent Infogrames. Pas étonnant non plus, l'univers de la BD reste le meilleur moyen de se faire connaître, et outre Astérix, Infogrames s'attaqua notamment aux Schtroumpfs, avec deux jeux : le jeu éponyme sorti en 1994 (notamment sur SNES et Megadrive), puis Les Schtroumpfs autour du Monde, sorti en 1996.

Je sais, depuis le début de cet article, je ne vous parle quasiment que de Schtroumpfs et d'Astérix.

L'une des adaptations de BD les plus remarquées de cette époque a été en fait Tintin au Tibet (sorti en 1994 sur SNES puis sur Megadrive et Game Boy), adapté directement de l'album du même nom, et non du dessin animé diffusé durant la même période – par ailleurs multi-rediffusé encore aujourd’hui. Infogrames avait déjà développé un jeu Tintin sans grand succès, Tintin sur la Lune, un jeu d'action très simple sorti en 1989 sur Amstrad, Amiga ou encore Atari ST. En s'attaquant de nouveau au mythe Tintin, Infogrames devra se montrer cette fois bien plus ambitieux qu'il ne l'a été pour ses versions d'Astérix et des Schtroumpfs, destinés avant tout à un jeune public.

Infogrames a su adapter graphiquement la bande dessinée Tintin au Tibet - ainsi que le prologue issu du Lotus Bleu - mais le jeu est difficilement jouable Salué par la presse vidéoludique de l'époque, et tout spécialement pour les qualités techniques du jeu (Tintin pouvant évoluer sur plusieurs plans), Infogrames avait sans doute franchi un pallier : le développeur est bel et bien capable de réaliser des jeux de plus grande envergure. Le résultat ne laissa assurément pas de marbre, avec un jeu de plateformes aux graphismes remarquables, et à l'esprit dans l'ensemble fidèle à la BD. Le succès d'estime de Tintin au Tibet amena la sortie d'une « suite » sortie en 1997 sur SNES puis Game Boy, Le Temple du Soleil, adaptation du double album Les Sept Boules de Cristal et Le Temple du Soleil.

Techniquement, Tintin au Tibet est alors la production vidéoludique adaptée de BD la plus impressionnante du moment, même si l'intérêt du jeu est parfois franchement étrange (éviter des femmes de ménage passant l'aspirateur dans un hôtel suisse n'a jamais été aussi dangereux !).

Exemple de level design mal pensé : Spirou grimpe sur les toits, risque sa vie en s'accrochant à un câble électrique... parce qu'il ne pouvait pas contourner un taxi garé au bas de la rue ! La même remarque peut d'ailleurs être formulée pour l'adaptation de Spirou en 1995, sorti sur SNES, Megadrive et Game Boy. Toujours développée par Infogrames afin d'accompagner une série animée, on y retrouve les mêmes défauts que pour Tintin, à savoir des pièges ridicules et extrêmement frustrants. La sauce ne prendra en revanche pas du tout cette fois. La pourtant célèbre série créée par Rob-Vel et popularisée entre autres par Franquin (plus de 50 albums tous auteurs confondus) n'aura pas connu de nombreuses adaptations vidéoludiques. En effet, Spirou ne sera pas repris par la suite par Infogrames, et ne sera suivi que d'un seul jeu, La Panique Mécanique, sorti en 2000 sur Game Boy et édité par Ubisoft.

Pour finir, Sega a également sorti en 1995 un Marsupilami sur Megadrive, dont on se demande si l'univers de la BD a bien été compris. Il manquait aussi un autre célèbre héros : Lucky Luke. L'homme qui tire plus vite que son ombre aura lui-aussi son jeu, sorti très tardivement (en 1998) sur SNES.

Les licences de bandes dessinées n'auront globalement pas produit des jeux d'une extraordinaire variété : de la plateformes, un peu d'action... Du très classique, et peu de prises de risques.


> Une production en quête d'envergure

L'arrivée de PC plus puissants et des consoles 32-bits (tout spécialement la PlayStation) change la donne, car les demandes des jeunes joueurs tendent vers des jeux en 3D. Différentes équipes européennes, à commencer par Infogrames et Ubisoft, vont saisir l'opportunité de capter le jeune public, avec comme toujours quelques années de retard.

Turbo Schtroumpf sur PS, déconseillé aux plus de 6 ans. Et le point rouge à l'écran, c'est bien le Grand Schtroumpf ! Dès lors, difficile, d'ores et déjà, de parler d'ambition quand les premières adaptations de BD sortent sur PlayStation seulement à compter de 2000. Et il n'y eut pas de mystère, le passage à la 3D fut difficile pour nos adaptations de BD. La liste des licences massacrées devient alors longue : Lucky Luke - La Fièvre de l'Ouest, Tintin - Objectif Aventure, Turbo Schtroumpf... sont autant de ratages passés par la suite dans l'anonymat le plus complet. Et encore, je vous épargne une longue liste de jeux d'Astérix (sur à peu près tous les supports possibles et imaginables), dont l'adaptation sur PS du film pas vraiment mémorable Astérix et Obélix contre César.

Quant au méchant vizir Iznogoud, ce n'est pas le jeu éponyme très oubliable sorti sur PS1 – et dans une 2D loin d'être magnifique – qui lui aura permis d'être calife à la place du calife !

Mais au début des années 2000, et après avoir longtemps ciblé un public jeune, les développeurs ont tenté de séduire un public plus âgé.

Le souci de respecter l'oeuvre poussé à l'extrême. Et dans le plus pur style Cryo, Thorgal est graphiquement soigné. Encore faut-il apprécier le style Cryo Le premier de ces signes est l'adaptation en 2002 de la BD Thorgal de Rosinski et Van Hamme. Un choix judicieux : les univers d'heroic fantasy ayant le vent en poupe, Thorgal est à ce sujet l'un des meilleurs représentants de la BD franco-belge. Sur la forme, tout a vraiment été fait pour séduire les lecteurs de la bande dessinée, en témoigne l'implication du dessinateur Rosinski dans les travaux préparatoires, ainsi que la fidélité au style graphique et à l'esprit de la bande dessinée.
Thorgal - La Malédiction d'Odin, développé par le studio français Cryo, ne parviendra cependant pas à attirer un autre public que les amateurs de la BD, et sera d'ailleurs pour l'anecdote l'une des dernières productions de Cryo, le studio étant tombé en faillite en 2002.

XIII n'était pas loin du grand écart, en faisant le pari de proposer un jeu calibré pour le marché nord-américain, sans trahir l'oeuvre originale S'agissant de XIII, adaptation de la BD de Vance et Van Hamme, l'ambition est cette fois de mise. La BD XIII, étant elle-même inspirée du roman La Mémoire dans la Peau, a des arguments pour séduire un public plus large que le marché européen, et tout spécialement le marché nord-américain. Les Américains n'étant pas spécialement friands de « comics » plus réalistes (il leur faut toujours des super héros avec des super pouvoirs), XIII, comme la très grande majorité des bandes dessinées franco-belges, n'a jamais percé. Une adaptation en jeu vidéo est en revanche dans le domaine du possible, et la bande dessinée fournit en cela tous les ingrédients : un héros charismatique, de l'action, des fusillades, une histoire de complot autour du Président des États-Unis... Franchement, tout y est ! Ubisoft soignera son adaptation afin de satisfaire à la fois les joueurs, mais également les aficionados de la BD. Il en résulte un FPS efficace, tout en cel-shading, incluant de nombreuses onomatopées et au parti pris original, intégrant ça et là des cases de BD apparaissant sur l'écran de jeu, centrées sur certaines actions (généralement la mort d'un ennemi).

Pourtant, malgré ses qualités, le jeu ne trouva pas son public. Inconnu en Amérique du nord, XIII partait pour ainsi dire de zéro, et le jeu ne put se détacher d'une concurrence féroce. En Europe en revanche, l'échec de XIII est plus surprenant, car la notoriété de la BD aurait dû aider le jeu à mieux se vendre.

Alors quelle conclusion en tirer ? Et si le lecteur de bandes dessinées n'est-il tout simplement pas intéressé par le jeu vidéo ? La demande en adaptations de BD franco-belges adultes existe-t-elle réellement ?

Ces questions, Ubisoft et d'autres ont certainement dû se les poser au moment de réfléchir à une suite de XIII ou à une adaptation d'une autre bande dessinée adulte. Sans possibilité de réellement percer dans le marché nord-américain, les chances étaient déjà minces, alors sans le soutien du marché européen, l'affaire fut vite entendue. L'échec de XIII est donc intéressant à plus d'un titre. On peut imaginer qu'en cas de succès, au moins sur le marché européen, le jeu aurait amorcé un mouvement d'adaptation de BD de plus grande envergure ; au lieu de cela, XIII n'est finalement qu'une anecdote.

Astérix & Obélix XXL a tenté sa chance en Amérique, en étant renommé pour l'occasion Kick Buttix Infogrames s'est lui aussi essayé au marché nord-américain, avec une licence connue, Astérix ; un genre de jeu simple et efficace, avec le beat'em all ; et la vente du jeu sous le label « Atari ». Ce jeu, c'est Astérix & Obélix XXL, sorti en 2003. En France et en Europe, le succès paraissait assuré d'avance compte tenu de l'énorme popularité de la BD ; aux États-Unis, la sortie d'un jeu Astérix est en revanche une nouveauté. La BD étant cependant toujours inconnue du public nord-américain, le jeu ne parviendra logiquement pas à se vendre.

En faisant le choix de parodier le monde du jeu vidéo avec Mission Las Vegum, Atari a pu s'autoriser quelques délires et signer une adaptation plus libre de la BD La différence avec XIII est que le jeu a tout de même connu une suite plutôt remarquée, Astérix & Obélix XXL 2 - Mission Las Vegum, sortie cette fois en 2005 uniquement sur le marché européen. Pourquoi remarqué ? Parce que le jeu sera truffé de références aux jeux vidéo : Mario, Sonic, Splinter Cell, Pac-Man..., et aussi parce que la production avait un minimum d'envergure. Un effort d'adaptation de la BD saluée, bien que le jeu ne soit pas non plus dépourvu de défauts.


> La recherche d’une vision artistique

Ubisoft, Infogrames ou encore Mindscape n’ont pas abandonné les adaptations de BD, mais ne visaient que le jeune public durant la seconde moitié des années 2000, et de très nombreuses productions sortent sur les supports préférés des enfants : Game Boy Advance, PS2, PC, DS et Wii. On dénombre ainsi plusieurs jeux Titeuf (la grosse licence à la mode dans les cours de récré), mais aussi Boule & Bill, Kid Paddle, et bien évidemment Astérix. Seul un événement, comme un long métrage ou la sortie de bandes dessinées, peut lancer un projet de jeu vidéo : ce fut notamment le cas de Lucky Luke, avec le dessin animé Tous à l'Ouest, adapté en 2007 sur Wii, DS et PC.

Le riche univers de Troy fit également l’objet en 2007 de deux adaptations sur deux types de supports différents, ainsi que deux genres très distincts : Lanfeust de Troy est un jeu d’action-aventure sorti sur DS et PSP ; tandis que Trolls de Troy – La Cité de la Mort Rose est un point ‘n click sorti sur PC. Seulement, là aussi, les moyens limités respectifs qu'Atari (ex-Infogrames) et Mindscape vont consacrer à ces jeux se traduiront par des échecs critiques et commerciaux, ainsi que des déceptions pour les fans.

Titeuf - Mission Nadia sur DS lorgne du côté d'un Wario Ware, multipliant les mini-jeux crétins propres à restituer fidèlement un esprit "cour de récré" Mini-jeux également au programme de Lucky Luke - Tous à l'Ouest Très mal reçu sur DS ainsi que sur PSP, l'adaptation de Lanfeust de Troy ne rend pas justice à la BD

Il fallait un créateur plus visionnaire pour dépasser cette triste logique d’adaptations à visées uniquement marketing. Penser le jeu vidéo comme la partie d’un projet artistique plus global, et non comme un simple outil destiné uniquement à la promotion d’un film ou d’une BD, c’était en effet l’ambition du regretté Benoît Sokal. Venu dans le monde du jeu vidéo en autodidacte, le dessinateur belge, créateur de la série de BD Canardo, s’était lancé avec L’Amerzone (sorti en 1999) dans une production grandement influencée par Myst, et dont il signera quasiment seul la conception du scénario ainsi que du game design, le développement étant assuré par l’éditeur et studio français Microids. A la suite de ce succès aussi bien critique que commercial, Sokal connaît la consécration comme auteur de jeux vidéo avec Syberia (sorti en 2002) et sa suite (sortie en 2004), tous deux développés et édités par Microids.

Paradise est le premier projet à avoir donné naissance en même temps à une BD et un jeu vidéo Fort de ses succès vidéoludiques reconnus aujourd’hui comme cultes, Benoît Sokal imagine un projet artistiquement ambitieux, à la frontière entre jeu vidéo et bande dessinée, et qui engloberait les deux médias sans que l’un puisse être considéré comme l’outil marketing de l’autre. Pour mener ce projet, il co-fonde le studio White Birds Productions en 2003, et c’est ainsi qu’est lancé Paradise : une série de bande dessinée en 4 tomes – publiée entre 2005 et 2008 – et un jeu vidéo, sortant quant à lui en 2006 sur PC. Les deux médias racontaient ainsi la même histoire, chacun à leur façon. Seulement, l’appréciation du point and click fut cette fois mitigée par la presse et les joueurs, et son succès commercial n’a pas été au rendez-vous.

La réalisation de Nikopol - La Foire aux Immortels a bénéficié d'un grand soin L’aventure White Birds Productions se poursuit néanmoins en 2007 avec L’Île Noyée, un projet original également basé (après L’Amerzone) sur des travaux issus de Canardo ; puis en 2008, avec Nikopol – La Foire aux Immortels, une relecture de la BD du même nom signée Enki Bilal. Le studio aux moyens très limités ne pourra cependant mener d'autres projets avec le même niveau d'exigence. Tout juste peut-il produire une adaptation de Paradise sur DS en 2009 (renommée Last King of Africa), ainsi que des productions plus alimentaires, comme les jeux éducatifs Martine à la Montagne et Martine à la Ferme ; mais avec la fermeture du studio en 2010, Sokal devra renoncer à un autre projet, Aquarica, dont les travaux préparatoires seront finalement transposés en 2017 par son auteur sous la forme… d’une bande dessinée.


> Les années 2010, à court d’idées et d’ambition

Faute de vision artistique et d’ambitions de la part des grands éditeurs, les années 2010 marquent donc la poursuite d’une logique commerciale d’adaptations à moindre frais. Et sans surprises, on retrouve Les Schtroumpfs, qui bénéficient – à la faveur des sorties des films d’animation au cinéma – de plusieurs jeux sur de nombreux supports ; des productions signées Ubisoft qui ciblent le (très) jeune public. Côté Astérix, c’est aussi pour accompagner le film d’animation Le Domaine des Dieux qu’un jeu sort en 2014 sur 3DS, tout comme le film d’animation Le Secret de la Licorne, qui permet à Tintin de connaître de nouveau une adaptation en 2011 sur consoles et PC.

Parce que je ne pouvais pas encore remettre une capture d'écran d'Astérix, les Schtroumpfs ou Titeuf, voici Yakari sur 3DS. Un jeu passé complètement inaperçu Si j’ajoute à ces jeux l’adaptation du film Titeuf en 2011 sur PC, DS et Wii, ou encore (plus surprenant) Yakari – Le Mystère de Quatre-Saisons sur 3DS en 2015, il faut vraiment – comme je l’ai d’ailleurs précisé un peu plus haut – des adaptations au cinéma ou en séries de dessins animés pour qu’un jeu vidéo l’accompagne. Cela en dit long sur le niveau d’ambition – faible – de ces productions.

En élargissant aux smartphones, la galerie des personnages de BD s’étend, avec des applis ou mini-jeux basés sur Lucky Luke, les Dalton, Boule & Bill, Les Blagues de Toto ou encore Gaston Lagaffe.

Sur PC, on trouve quelques adaptations plus inattendues, comme celles de la BD d'Edgar P. Jacobs, Blake et Mortimer (La Malédiction des Trente Deniers et Les Tables de Babylone). Des point ‘n click malheureusement sans grande envergure sortis en 2012 et 2013 sur PC.

Le problème est que j’effectue là une bête énumération de jeux, sans dégager une seule production vraiment marquante de tout cet ensemble. Il est d’ailleurs fort probable que vous n’ayez entendu parlé d’aucune d’entre elles. Alors, se limiter à des productions peu ambitieuses est-elle une fatalité pour des adaptations vidéoludiques de BD ?


> Ré-affirmer une identité européenne du jeu vidéo

Astérix & Obélix XXL 3 marque le lancement de la stratégie mise en place par Microids C’est progressivement qu’un éditeur français, Microids, va revenir sur des adaptations de BD en jeux vidéo, en lançant les remasters des 2 Astérix & Obélix XXL pour accompagner la sortie en 2019 sur tous les supports d’Astérix & Obélix XXL 3 – Le Menhir de Cristal, un jeu qui s’avéra finalement assez timidement reçu. S’ajoute également un remaster de XIII en 2020, dont la réalisation fut désastreuse à sa sortie en 2020 ; un nouveau remake des Tuniques Bleues (Nord Vs Sud) ; ainsi qu’une nouvelle production, Les Sisters – Show Devant, première adaptation d’une série de BD initiée en 2006.

Mais l’éditeur ne s’arrête pas là et lance tous azimuts de nombreux projets notables d’adaptations vidéoludiques de BD, reprenant pour de bon un flambeau que plus personne ne voulait porter nécessairement bien haut : se poser comme l’héritier de l’Infogrames des années 90… mais pas que ! En concluant de très nombreux partenariats, Microids obtient l’exploitation de licences pour produire plusieurs jeux Astérix et Schtroumpfs.

Jusqu’à présent connu pour des productions à qualité (très) variable, Microids suscite un intérêt croissant, avec des jeux originaux sortant tous fin 2021 : Les Schtroumpfs – Mission Malfeuille, un jeu d’action-plateforme en 3D ; Marsupilami – Le Secret du Sarcophage, un jeu de plateformes en 2D qui lorgne visiblement du côté de Donkey Kong Country ; et enfin, Astérix & Obélix – Baffez-les Tous !, un beat’em all développé par Mr. Nutz Studio, rappelant plus que furieusement l’excellent Astérix de Konami sorti presque 30 ans auparavant. Ce 3ème projet a aussi pour lui un atout de poids pour une adaptation BD : des graphismes dessinés main !

Seule licence capable d'atteindre le marché nord-américain, les Schtroumpfs sont au centre de la stratégie de Microids, avec 5 jeux en préparation Après un unique jeu sorti en 1995 sur Mega Drive, le Marsupilami connaît une seconde adaptation en 2021 Astérix & Obélix - Baffez-les Tous ! est le projet le plus attendu de Microids en cette année 2021

Tous ces jeux ont été développés pour eux-mêmes et non pour accompagner des films ou des séries. Aussi, leurs réceptions seront évidemment surveillées, mais ces jeux constituent également une étape déterminante pour Microids. La stratégie de l’éditeur, calquée sur celle qu’avait déjà adoptée Infogrames dans les années 90 et qui lui avait permis de se faire un nom, vise très clairement à affirmer l’identité européenne forte de Microids. S’appuyant déjà sur des licences comme Syberia ou encore Blacksad (une série de BD espagnole), l’éditeur ajoute ainsi dans son escarcelle les adaptations de BD franco-belges… qui seront de plus en plus nombreuses si le succès est au rendez-vous !

Difficile de savoir – en l’absence de communication sur les ventes de jeux par Microids – si cette stratégie sera payante, mais l’éditeur n’a de toute façon pas l’intention de lever le pied, et prépare une seconde vague d’adaptations, à commencer celle des Cigares du Pharaon, une des premières aventures de Tintin ; un 4ème volet de la série Astérix & Obélix XXL, cette fois dénommée XXXL ; ainsi que Schtroumpfs Kart, une nouvelle tentative pour les lutins bleus de Peyo de concurrencer Mario Kart après un premier essai raté.


> La forme plus que le fond

Si l'on peut sortir une constatation positive de l'ensemble des adaptations vidéoludiques de bandes dessinées franco-belges, c'est le respect des œuvres originales. Vous noterez d'ailleurs que la plupart des adaptations sont de beaux jeux, agréables à l'œil, et aussi soignés qu'ils sont fidèles au style graphique de l'auteur. Cependant, à trop s'efforcer de respecter la bande dessinée, voire en y consacrant tous les moyens, l'aspect ludique passe souvent au second plan, y compris pour les jeux les plus ambitieux. Il en résulte au mieux un jeu correct, mais manquant d'originalité pour être vraiment marquant ; au pire, un produit dérivé créé à des seules fins de marketing.

Et puis, j'aurais presque pu me lancer dans un dossier uniquement consacré à Astérix, tant le gaulois écrase le reste des autres licences par un nombre incalculable d'adaptations... et encore, je n'ai cité ici que celles présentant un minimum d'intérêt ! Alors, pour être un projet un tant soit peu ambitieux, une adaptation vidéoludique d'une bande dessinée est-elle condamnée à s'appeler Astérix ?

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