LES STUDIOS : RAREWARE | Article rédigé par Blondex |
Evoquer Rare sans provoquer l'extase des retrogamers semble presque impossible, tant les meilleures productions de ce développeur britannique sont toujours considérées à l'heure actuelle comme des chefs-d'oeuvre. Donkey Kong Country, Killer Instinct, GoldenEye, Banjo-Kazooie... Des jeux qui ont marqué au fer rouge toute une génération de joueurs ! Le développeur, prolifique dans sa jeunesse, deviendra progressivement un studio capable, à l'image des plus grands, de faire vendre grâce à son seul nom.
Pourtant, et alors même que Rare est toujours un développeur actif, son travail et sa renommée ne sont plus conjugués depuis quelques années au temps présent.
Deux frères, Tim et Chris Stamper, fondent en 1982 l'entreprise Ashby Computer & Graphics, spécialisée dans la maintenance de bornes d'arcade. Finalement plus intéressés par la création de jeux que par les aspects techniques des machines, les deux frères Stamper se lancent dans le développement. Préférant vendre directement aux joueurs, ils optent pour les ordinateurs de jeux plutôt que les bornes d'arcade. Ainsi, sous le nom d'Ultimate Play the Game, ils sortent leur premier jeu sur ZX Spectrum et Commodore VIC-20 en 1983 : Jetpac ! Tandis que Chris s'occupe de la programmation, Tim prend en charge la partie graphique ; une répartition des rôles qui subsistera lors de chacune des productions d'Ultimate. Les jeux seront quant à eux édités par US Gold.
Contrôlant un astronaute du nom de Jetman, le joueur devra assembler les trois morceaux de sa fusée en évitant des aliens belliqueux ! Une fois la fusée terminée, il faudra ensuite la remplir de fuel pour pouvoir enfin décoller et partir à la découverte d'une nouvelle planète, où, rebelote, il faudra recommencer (avec bien sûr de plus en plus de variantes à mesure que vous progressez).
Principe simple et efficace rappelant les vieux jeux arcade (l'inspiration des frères Stamper), Jetpac traduit déjà tout le talent des développeurs en matière de gameplay. Jetpac ne sera pas le seul jeu d'Ultimate lors de cette année 1983, mais il deviendra pour ainsi dire une de leurs productions les plus emblématiques. Jetman sera ainsi la première mascotte "officieuse " du studio, et sera employé dans la foulée dans un nouveau jeu à son nom, Lunar Jetman.
Il serait inutile d'énumérer ici l'importante production d'Ultimate durant cette période, mais aux côtés de Jetman l'astronaute, le développeur crée Sabreman l'explorateur, un autre de ses personnages phares. Sabreman sera ainsi le héros d'une série officieusement nommée à son nom, dont le premier épisode sort en 1984 sous le nom de Sabre Wulf ! Un nom qui évoque certainement quelque chose aux amateurs de jeux de combat, mais nous y reviendrons plus tard. Dans Sabre Wulf donc, Sabreman doit assembler les quatre morceaux d'une amulette, tuer les ennemis qui se présentent devant lui avec son sabre... et surtout, éviter l'invincible Sabre Wulf, bien décidé à protéger le trésor.
Sabre Wulf sera suivi de plusieurs suites ayant pour héros Sabreman : Underwurlde (1984) et Pentagram en 1986. Knight Lore (1984 également) est cependant davantage relié à Sabre Wulf, puisque Sabreman devra trouver un moyen de guérir de sa lycanthropie. Le jeu est d'ailleurs intéressant à plus d'un titre, car il est le premier à utiliser une nouvelle technique de graphismes conçue par les frères Stamper, le Filmation Engine. Concrètement, il s'agit de graphismes et de gameplay en 3D isométrique, dont l'utilisation avait été jusqu'à ce moment discrète (Q*Bert et Zaxxon étant tout de même des exemples connus). Cependant, par sa technique et son gameplay bien plus profonds – le joueur pouvant se déplacer librement en 3D dans son environnement, ce qui n'était pas possible dans les précédents jeux en 3D isométrique -, Knight Lore fut salué comme une avancée ludique considérable, et rencontra un vif succès. D'autres jeux Ultimate, comme Pentagram ou Alien 8, utiliseront le même procédé.
A raison de 6 titres en moyenne par an de 1983 à 1985, Ultimate est un développeur prolifique pour les ordinateurs de l'époque. Néanmoins, les frères Stamper se montrent peu satisfaits de l'évolution du marché des ordinateurs, et s'intéressent de plus en plus fortement à un nouveau support de consoles : la NES de Nintendo. Ils prennent alors la décision de ne développer des jeux que sur cette console, et alors qu'Ultimate est un nom réputé au sein de la communauté des possesseurs de Commodore 64, d'Amstrad CPC et surtout de ZX Spectrum – auquel Ultimate était particulièrement attaché -, ils revendent le catalogue ainsi que l'exploitation du nom commercial "Ultimate Play the Game " à l'éditeur US Gold... pour devenir Rareware !
La marque sera ensuite abandonnée par US Gold suite aux échecs de Martianoïds et Bubbler, les deux seuls jeux Ultimate à ne pas avoir été développés par les frères Stamper... donc, pas de vrais jeux Ultimate.
La fondation du studio Rare s'accompagne d'abord d'un déménagement des locaux à Twycross, qui demeure toujours à l'heure actuelle le siège social de l'entreprise, mais aussi du recrutement progressif de personnel. A compter de l'époque "Rare ", les frères Stamper ne seront plus les seuls à concevoir et développer des jeux. A dire vrai, compte tenu de l'impressionnant catalogue proposé par Rare sur NES, le seul travail des frères Stamper n'aurait jamais pu suffire !
Citer la très importante production de Rare à cette époque serait particulièrement fastidieux... ce d'autant plus que quelques titres méritent même d'être oubliés ! Il est en fait à première vue assez difficile d'identifier les jeux Rare sur NES, le développeur ayant travaillé pour le compte de plusieurs éditeurs : Nintendo bien sûr ; mais aussi et surtout Tradewest, Acclaim et Milton Bradley (MB), pour les plus connus. Une vue d'ensemble de toute cette production permet en tout cas de se rendre compte de l'extraordinaire variété des jeux Rare : combat, action, aventure, stratégie, jeux de société, jeux de plateformes, courses, beat'em all, shmup... Le développeur s'est vraiment révélé être touche à tout, même si cela n'a pas toujours été heureux, et surtout, réellement visible.
Prémices de collaborations futures, le premier jeu de Rare, Slalom, est donc édité par Nintendo en 1987, tout comme le sera le premier RC Pro-AM, un jeu de voitures téléguidées fort sympathique et au feeling très arcade, en 3D isométrique, qui aura rencontré un joli succès. Autre jeu notable à signaler, il s'agit de Snake Rattle'n Roll, un jeu de plateformes en 3D isométrique lui-aussi. Ces deux derniers jeux témoignent ainsi du niveau de progrès de Rare dans la maîtrise d'une technique qu'Ultimate aura presque inventée.
Le cas de MB est intéressant : le géant du jeu de plateau (qui n'a jamais joué à Docteur Maboule ou Qui Est-ce ?) souhaita en effet s'implanter dans le jeu vidéo comme éditeur, et se reposa essentiellement sur des productions de Rare, même si ces dernières ne se révèlent pas être les plus marquantes. On peut évidemment citer Captain Skyhawk, un shoot-them-up en 3D isométrique ; Time Lord, un jeu d'action bien loin de ce que promettait la jaquette ; et enfin, le redouté Digger T. Rock, un jeu d'action-stratégie malin, bien réalisé, mais presque impossible à terminer.
Avec Tradewest, Rare n'en sera pas forcément le développeur attitré, mais assurément l'un des piliers sur NES. C'est d'abord sous le label Tradewest que Rare renoua avec ses origines, en sortant en 1990 Solar Jetman, le 3ème volet de la série "Jetman " initiée du temps d'Ultimate, mais également le seul jeu NES à témoigner de la filiation de Rare à Ultimate. Solar Jetman poussera le concept de Jetpac plus loin, en ajoutant des tableaux très vastes et parsemés de pièges, tout en gardant le même principe de base (retrouver les morceaux d'une navette spatiale).
Cependant, la production la plus mémorable de Rare pour le compte de Tradewest est Battletoads, dont les protagonistes sont des batraciens. Le jeu sera suivi plus tard de quelques autres épisodes, dont un crossover avec Double Dragon, autre licence détenue par Tradewest sur consoles.
Pour terminer, Rare aura également développé de nombreux jeux pour le compte de l'éditeur Acclaim, notamment quelques productions mémorables (pas toujours pour de bonnes raisons d'ailleurs). Sous le giron de l'éditeur américain, Rare sortira ainsi le tout premier jeu vidéo de catch utilisant une licence officielle de la WWF (non, pas les pandas, les gros catcheurs !), avec le très peu apprécié WWF Wrestlemania. Mais Rare réalisera de meilleures choses pour Acclaim, à commencer par Wizards & Warriors, accompagné de deux suites : le redouté Ironsword et le peu connu Kuros - Visions of Power.
Tous éditeurs confondus, Rare aura ainsi développé de 1987 à 1992 une bonne quarantaine de jeux sur NES, et créé des licences assez connues dans le paysage vidéoludique de l'époque, comme Battletoads, Wizards & Warriors, RC Pro-AM ou Snake Rattle'n Roll. Difficile en revanche d'affirmer qu'il se dégage de l'ensemble une identité clairement affichée, même si le dénominateur commun de toutes ces productions est la grande difficulté qu'elles proposent : Solar Jetman, Digger T. Rock, Ironsword ou Battletoads font encore frémir les retrogamers !
Progressivement, Rare va commencer à développer des jeux sur d'autres supports, à commencer par la Game Boy. Le développeur anglais y sera cependant arrivé par la pointe des pieds, en ne laissant que quelques productions sortir sur le support, et toujours avec des éditeurs différents.
Ainsi, toutes les grandes séries de Rare ont été adaptées sur la Game Boy, à commencer par Wizards & Warriors X - Fortress of Fear en 1990. Des suites seront aussi apportées à Snake Rattle'n Roll (Sneaky Snakes, un jeu de plateformes en 2D au concept plus classique) et RC Pro-AM, Battletoads étant quant à lui adapté tel quel de la NES à la GB en 1991 ; la portable accueillera toutefois un épisode exclusif de la série, avec Battletoads in Ragnarok's World. Production maigre, mais de qualité sur Game Boy, à l'image de Monster Max (cette fois édité par le Français Titus), ce n'est que plus tard que l'on se rendra réellement compte que Rare maîtrisait parfaitement les capacités de la Game Boy, et ne l'abandonna jamais durant sa longue période de commercialisation.
Plus anecdotique, Rare – sous le giron de Tradewest – porta trois de ses succès NES (Battletoads, Snake Rattle'n Roll et RC Pro-AM, renommé pour l'occasion Championship Pro-AM) sur la Megadrive.
Cependant, c'est bien avec la Super Nintendo que le développeur anglais va réellement émerger, et devenir mondialement connu et reconnu. Si on excepte l'adaptation de Battletoads VS Double Dragon, le premier véritable jeu de Rare pour la Super Nintendo sort en 1993 et se nomme Battletoads in Battlemaniacs !
Et là, je sens comme une tension palpable dans l'assemblée ! Car oui, d'une certaine manière, Battlemaniacs est le dernier jeu du Rare "old school " (celui de l'ère pré-Nintendo), à la difficulté génératrice de crises d'hystérie et de délires sadomasochistes ! Mais Battlemaniacs annonce aussi les prémices du nouveau Rare, avec une maîtrise technique des capacités de la SNES hors du commun. Ceux qui se souviennent ainsi du jeu se remémorèrent également de la qualité d'animation des personnages, de la variété de leurs coups et de leurs postures comiques, de la qualité globale des décors, et du petit effet de miroir très sympathique durant les niveaux bonus.
A ce moment, les frères Stamper exprimèrent leur besoin de ne plus développer toute une myriade de jeux, mais d'exploiter au maximum les capacités techniques de la SNES. Travaillant avec des stations Silicon Graphics (à la pointe de la mode en 1994, souvenez-vous de Terminator 2 et Jurassic Park), ils entrent en discussion avec Nintendo pour leur présenter une démo. La proposition arrive au moment le plus opportun pour Nintendo, en recherche de productions capables de redonner un nouveau souffle à sa SNES vieillissante, et devant l'enthousiasme de la firme de Kyoto, le studio se voit confier le développement d'un jeu unanimement considéré comme culte : Donkey Kong Country !
Pour les besoins de ce jeu, Rare va concevoir les personnages et les décors en 3D, le tout étant par la suite converti en 2D pour fonctionner sur SNES. Techniquement, le rendu graphique donne alors l'impression d'un jeu digne d'une 32-bits, ne fonctionnant pas sur SNES mais sur Saturn ou PlayStation. Autrement dit, le pari de Nintendo de promouvoir jusqu'au bout sa SNES en l'alimentant en jeux graphiquement spectaculaires s'avéra être une réussite, puisque Donkey Kong Country se vendit à des millions d'exemplaires, et est le 3ème jeu le plus vendu de la console.
Mais Donkey Kong Country n'est pas qu'une réussite graphique. Le jeu est non seulement parfaitement jouable et amusant, disposant d'une durée assez longue et de multiples secrets, mais propose aussi une bande-son savoureuse. On en avait déjà eu un bon aperçu avec les productions NES, puis avec Battlemaniacs ; Donkey Kong Country le confirme : les compositeurs maison de Rare (David Wise, le fidèle de la première heure ; mais également Robin Beanland, Graeme Norgate et Grant Kirkhope ont eux-aussi du talent ! Bref, la réussite à tous les niveaux.
Rare acquiert à ce moment la renommée qui lui faisait défaut jusque là, et qui continuera à le suivre jusqu'à ce jour. Car si Donkey Kong Country consacre le talent du studio Rare, ce n'est que le début d'une longue période de succès.
Dans la foulée sort Killer Instinct en arcade, en collaboration avec Midway, l'éditeur de Mortal Kombat. Jusqu'à présent, l'expérience de Rare en matière de jeux de baston demeurait extrêmement limitée (WWF Wrestlemania...), mais dès son premier essai, le développeur anglais réussit un coup de maître avec un jeu de baston 2D violent, particulièrement nerveux, disposant de son propre système de combats (basés sur les "combos ", des enchaînements généralement longs et spectaculaires), et de son propre univers futuriste déjanté. Les fans ont notamment le souvenir de Cinder l'homme-torche, Fulgore le robot destructeur, Jago le moine-guerrier, Sabrewulf le loup-garou (en référence bien évidemment au jeu Sabre Wulf), ou encore la plantureuse Orchid !
Contre toute attente, et alors que Killer Instinct était prévu pour l'Ultra 64, Rare adapta son jeu sur SNES, suivant la même technique que Donkey Kong Country, et malgré d'évidentes pertes graphiques, Killer Instinct fut lui-aussi un succès qui contribua à accentuer la renommée de Rare.
En 1995, Nintendo tient à ce que le talentueux développeur qui a ressuscité la licence Donkey Kong reste à ses côtés, surtout en prévision de la sortie prochaine de l'Ultra 64. Il se porte ainsi acquéreur de 49 % des parts de Rareware, lui garantissant un contrôle suffisant pour exiger du développeur l'exclusivité de ses prochains titres sur les consoles Nintendo.
Néanmoins, cette prise de participation dans le capital de Rare n'en laisse pas moins au studio une certaine indépendance, et grâce au potentiel financier de Nintendo, qui assurera l'édition et la promotion des jeux de Rare, le développeur va se voir offrir une visibilité de premier plan.
Sur Super Nintendo, le studio continue de développer deux jeux supplémentaires de la série Donkey Kong Country, avec le même talent que pour le premier... sinon plus. Diddy's Kong Quest, de par la qualité exceptionnelle de son level design, est toujours considéré comme une référence de la plateformes 2D ; quant à Dixie Kong's Double Trouble, il marque une progression graphique encore sensible malgré deux précédents volets pourtant déjà graphiquement exceptionnels.
Tous les jeux développés sur SNES seront également adaptés par Rare sur Game Boy, Donkey Kong Land étant l'exception puisqu'étant une production originale.
Rare se prépare cependant à développer pour la prochaine console de Nintendo, finalement renommée Nintendo 64. D'ores et déjà, plusieurs jeux sont en préparation pour les débuts de la console, et si, parmi ces premiers jeux N64, Blast Corps ou Killer Instinct Gold (adaptation de Killer Instinct 2 sorti en arcade) disposent d'un bon capital sympathie, un autre jeu retient rapidement l'attention.
Une équipe de Rare, conduite par Martin Hollis et David Doak, sera ainsi en charge de l'adaptation vidéoludique du film GoldenEye. James Bond en jeu vidéo, cela n'avait jusqu'alors pas été franchement prolifique ni convaincant, et le jeu sera qui plus est un "Doom-like " (appellation officieuse du FPS à l'époque), un genre considéré comme bourrin. Le tour de force de l'équipe de développement fut en fait d'adapter le FPS aux exigences d'un James Bond, à savoir un soupçon d'infiltration, des objectifs à remplir, de l'action subtile et évidemment des gadgets james-bondiens. Cet effort fut plus que réussi, tant GoldenEye est considéré comme un des jeux fondateurs du FPS moderne. Qui plus est, ce qui ne devait être qu'un ajout de dernière minute se révéla être le deuxième effet Kiss Cool de GoldenEye : un mode multijoueurs d'anthologie, à 4 sur le même écran, dont la multitude de réglages subtils et de cartes savamment pensées ont fait de GoldenEye une référence du FPS multijoueurs.
Le succès de GoldenEye est tel que Rare entre cette fois dans la cour des grands, et chacune de ses nouvelles productions seront d'autant plus attendues que sur Nintendo 64, le développeur anglais sera le seul à réellement concurrencer les équipes de développement de Nintendo. Certes, en ressuscitant une licence et la rendant du même coup rentable, d'autres éditeurs se la disputeront et Rare ne développera plus de James Bond. La perte ne sera que minime compte tenu des jeux de grande qualité proposés sur Nintendo 64 : Diddy Kong Racing, un concurrent sérieux pour Mario Kart 64 ; Banjo-Kazooie et sa suite Banjo-Tooie, des jeux de plates-formes du calibre d'un Mario 64 ; Perfect Dark, considéré comme la suite spirituelle de GoldenEye ; Donkey Kong 64, qui a assuré la promotion du Rampack de la N64... Excusez du peu !
Certes, la production est nettement moins soutenue, le développeur ne sortant généralement que deux titres par an, au profit d'une qualité globale excellente. Le soutien et l'expérience de Nintendo inciteront le développeur à privilégier une plus grande accessibilité, tant dans la difficulté que dans la maniabilité. Cela dit, le poids de Nintendo se fait souvent pesant, notamment quand Shigeru Miyamoto a pu se déclarer déçu du travail réalisé sur Donkey Kong Country ou Diddy Kong Racing. Jet Force Gemini est lui aussi un cas intéressant, puisque l'esthétique du jeu sera complètement retravaillée suite à un mauvais retour des premières présentations publiques. Il s'avéra également que le jeu était surveillé par Nintendo pour tester la faisabilité d'un "Metroid 64 ", Jet Force Gemini étant un jeu d'action-exploration offrant une piste d'étude pour une adaptation 3D de la série de Nintendo. Les ressentis assez négatifs de Nintendo sur Jet Force Gemini expliquent ainsi que Metroid n'ait pas été calqué sur son modèle.
Malgré les succès, la collaboration avec Nintendo n'est donc pas toujours cordiale, et les frères Stamper expriment leurs besoins de développer des jeux pour d'autres consoles. Cela ne peut en revanche se faire tant que Nintendo reste détenteur de 49 % des parts. Le début des années 2000 est ainsi une période de doutes, où malgré les sorties de Perfect Dark ou de Banjo-Tooie, ainsi que la présentation de projets ambitieux comme Dinosaur Planet ou Kameo, les joueurs – principalement les fans de Nintendo – s'inquiètent du devenir du développeur anglais. Une partie de l'équipe en charge de GoldenEye, conduite par David Doak, quitte d'ailleurs à cette période Rare pour fonder un nouveau studio, Free Radical Design, célèbre par la suite pour la série Timesplitters.
Le développement chaotique de Conker est le témoin des relations plus compliquées entre Rare et Nintendo. Il faut dire que l'écureuil se destinait d'abord à être un nouveau héros à destination des plus jeunes, ce que l'on pouvait déduire à la vue des premières images de Conker's Quest, renommé ensuite Twelve Tales – Conker 64.
Craignant que Conker passe finalement inaperçu avec la concurrence de productions maison comme les deux Banjo et DK 64, Rare changea complètement l'orientation du jeu, l'univers gentiment gnangnan de départ – Conker's Pocket Tales sur Game Boy Color étant la preuve irréfutable que Conker 64 devait évoluer dans un monde tout mignon – laissera la place à une festival de grivoiseries en tous genres. Le jeu, renommé Conker's Bad Fur Day, multiplie les délires scatologiques (rots, pets, vomis, montagne de caca...) et saute les deux pieds dans le plat sur des sujets délicats voire tabous dans le jeu vidéo (alcool, humour noir, argent, et même sexe !). Une orientation qui ne sera pas vraiment du goût de Nintendo, qui édita certes le jeu aux Etats-Unis, mais en fournissant le minimum syndical pour en assurer la promotion. Conker n'allait également pas sortir en Europe sans l'intervention de l'éditeur américain THQ, mais la cartouche sortit à un prix réellement prohibitif. Ainsi, malgré ses qualités techniques exceptionnelles (Conker étant un des plus beaux jeux de la N64) et son originalité, le jeu sera un échec commercial finalement logique, le seul de Rare sur N64.
La fin de vie de la N64 voit également de nombreux projets Rare se reporter sur GameCube, dont Dinosaur Planet. Finalement, face aux demandes d'indépendance du studio, Nintendo accepte de se séparer de l'intégralité de ses parts dans Rareware, et si de nombreux éditeurs se montrent intéressés, c'est le géant de l'informatique Microsoft qui propose le plus gros chèque. En 2002, la boîte à Billou se lance pour de bon dans le marché des consoles de jeu avec la Xbox, et rachète l'intégralité des parts de Rare (y compris les 51 % des frères Stamper). Devenu une division de Microsoft Games, Rare devra apporter toute son expérience du jeu vidéo pour soutenir la Xbox.
Dinosaur Planet devient entretemps Starfox Adventures, et sera en 2002 le dernier jeu de Rare pour une console de salon Nintendo. En attendant les productions futures, cette nouvelle mouture de Dinosaur Planet témoigne de la maîtrise des possibilités offertes par les nouvelles consoles : le "Fur Shading " notamment, technique mise au point par Rare, donne un aspect très réaliste aux protagonistes à fourrure, et la réalisation technique globale est toujours considérée comme l'une des plus abouties sur GameCube – ce qui n'est pas forcément le cas du jeu en lui-même, qui manque un peu de coffre sur la durée.
Les autres projets, comme Kameo ou Perfect Dark Zero, seront tous transférés vers la Xbox, mais le développeur continuera à sortir des jeux pour la Game Boy Advance ; un choix logique puisque Microsoft ne s'est pas engagé sur ce marché des consoles portables.
Paradoxalement, c'est pourtant durant la période "Xbox" que Rare se montre plus prolifique sur GBA, avec des sorties annuelles de 2002 à 2005 : ainsi, l'ensemble des Donkey Kong Country sont réédités sur la portable grâce aux soins de Rare, et des nouvelles productions sortent également, comme Banjo-Kazooie – Grunty's Revenge, ou même Sabre Wulf en 2004, ressorti du fond des âges ! Le jeu se révèle d'ailleurs être une suite du Sabre Wulf original, avec un Sabreman désormais âgé.
Sur Xbox en revanche ne sortent finalement que deux jeux. Grabbed by the Ghoulies se présente en 2004 comme un concurrent de Luigi's Mansion dans le domaine du survival horror comique, et déjà les premiers retours font état d'une grande déception des fans du studio anglais. Loin d'être mauvais, et même plutôt sympathique, Grabbed by the Ghoulies n'atteint toutefois pas le niveau de qualité des précédentes productions (Starfox Adventures inclus) tant en matière de graphismes que de contenus. Et un nom comme Rare ne peut pas vraiment se relâcher.
D'autres jeux ont été annoncés sur Xbox, notamment Kameo et Perfect Dark Zero, tous deux très attendus, mais la console de Microsoft, lancée pour inquiéter Sony et sa PS2, sera loin de remplir ses objectifs. Elle laissa alors assez rapidement sa place à la Xbox 360 fin 2005 - début 2006, et les projets de Rare seront tous reportés sur la nouvelle console. Ne sort ainsi que le remake de Conker's Bad Fur Day, d'abord nommé Live and Uncut, puis Conker - Live and Reloaded. Si le multijoueurs en réseau a été mis en avant, le jeu principal a en revanche été plus lourdement censuré que la version originale...
Trois, c'est le nombre de jeux Rare sortis sur la génération GameCube – Xbox ; un gâchis certes, mais les jeux sans cesse repoussés sont enfin terminés, et le développeur anglais s'apprête à avoir l'honneur de présenter fin 2005 deux jeux au lancement d'une nouvelle console. Annoncé successivement sur GameCube puis Xbox, Kameo – Elements of Power a été présenté comme le Zelda de la console. Bien que souffrant de défauts similaires à Starfox Adventures, notamment concernant la facilité du jeu, il bénéficie en revanche des mêmes qualités en termes de réalisation graphique.
Quant à Perfect Dark Zero (un prequel du volet N64), il débarque auréolé de la réputation d'excellence de Rare dans le domaine du FPS. Le jeu sera en revanche plus fraîchement accueilli par la critique, pointant du doigt une réalisation datée – témoin du développement contrarié du jeu. Néanmoins, les deux jeux se vendront relativement bien et amorcent le renouveau de Rare après quelques années de passage à vide, même si dans l'esprit de nombreux joueurs, le studio anglais n'est déjà plus ce qu'il était à ce moment.
Les nouveaux projets se bousculent : on parle d'un nouveau Killer Instinct ou de "Banjo-Threeie " ; on voit alors arriver presque par surprise le remake de Diddy Kong Racing sur DS en 2006, et des premières images de la nouvelle production, Viva Piñata, prenant tout le monde à contre-pieds.
Le jeu marque l'incursion de Rare dans un domaine qui lui était inconnu : le jeu de gestion. Et Viva Piñata n'aura d'autres ambitions que d'être l'Animal Crossing de la Xbox 360 ! Sans doute le pari le plus ambitieux de Rare depuis de nombreuses années – un projet dans lequel les frères Stamper se seront particulièrement investis -, Viva Piñata sera fortement soutenu par Microsoft afin de séduire un public jeune et plus "casual" vers la Xbox 360, et sera même accompagné de nombreux produits dérivés (jouets, dessin animé...).
Pourtant, alors que le jeu sera très bien accueilli par la critique et témoigne d'une production enfin à la hauteur de la réputation du studio anglais, Viva Piñata sera boudé à sa sortie, et s'il se vend au delà du million d'exemplaires, c'est au prix d'une vaste opération de braderie (jeu offert avec la console, baisse de prix drastique...). Le pari de Microsoft et de Rare se trouve confronté au public de la console.
L'échec de Viva Piñata semble faire des victimes collatérales : les fondateurs du studio eux-mêmes ! C'est en effet peu de temps après la sortie du jeu que les frères Stamper annoncent début 2007 leur départ afin "de poursuivre d'autres opportunités " ; comme explications, on ne peut pas faire plus flou ! La décision a-t-elle été mûrement réfléchie, ou bien les frères Stamper ont-ils été mis à la porte ? Les raisons réelles n'ont pas été pour l'heure révélées, et il est peu probable qu'elles le soient.
Toujours est-il qu'avec le départ de ses fondateurs, c'est plus qu'une page qui se tourne. Depuis GoldenEye en 1997, le studio a vu partir progressivement ses meilleurs éléments, au point que le studio n'a plus grand chose en commun avec celui de l'âge d'or... si ce n'est la gestion de l'héritage.
Depuis 2007 en effet, le développeur multiplie les remakes... comme celui de Jetpac sur le Xbox Live Arcade, renommé Jetpac Refuelled ; ou encore ceux des deux Banjo de la N64, de Perfect Dark, sans oublier les ressorties forcées des trois Donkey Kong Country SNES sur la Console Virtuelle de la Wii.
Malgré l'échec de Viva Piñata, Microsoft continuera à miser sur sa licence, la déclinant notamment sur DS, et en lui ajoutant une suite sur 360. Malheureusement, il était écrit que la série Viva Piñata serait vouée à l'échec : Pocket Paradise est directement confronté à Animal Crossing, dont le volet DS Wild World lança véritablement la série de Nintendo ; quant à Trouble in Paradise, elle est à nouveau ignorée.
Rare croit alors pouvoir se rabattre sur une de ses vieilles gloires pour redorer son blason, et le projet "Banjo-Threeie " est enfin doté d'un nom (Banjo-Kazooie - Nuts & Bolts) ainsi que d'un visuel novateur – quoique peu apprécié des amateurs de la série. Là aussi, le jeu fut un échec commercial, car hormis un public de fidèles ayant suivi le studio anglais lors de son passage chez Microsoft, Banjo-Kazooie – Nuts & Bolts ne séduira pas les amateurs des Halo ou Gears of War, d'autres séries estampillées Xbox. D'ailleurs, aucun des jeux Rare sortis sur Xbox 360 n'aura rencontré un succès comparable à ces deux mastodontes ; d'une manière générale, aucun jeu de Rare depuis le rachat par Microsoft n'aura vraiment renoué avec la splendeur d'antan.
Tous les joueurs savent-ils que derrière Kinect Sports se cache en réalité le studio anglais ? Suite aux déceptions commerciales de Viva Piñata et de Banjo-Kazooie – Nuts & Bolts, Rare s'est essentiellement consacré entre 2010 et 2015 aux projets Kinect de Microsoft, en témoignent les sorties de 3 Kinect Sports. Les avatars de la Xbox 360 (rappelant les Miis de la Wii) ont également été conçus par Rare. Bref, toute l’organisation du développeur anglais semble rappeler Nintendo. Cela dit, si le concurrent de Wii Sports est bien sorti, Rare n’a jamais proposé un jeu de la trempe de Mario Galaxy.
Après quelques années à désespérer d’une moindre annonce de licence "gamer" de la part du développeur, le 3ème Killer Instinct – longtemps attendu – sort sur Xbox One « à compter » de 2013, presque 20 ans après la sortie du premier. Passée l’annonce fracassante, le jeu n’a en fait pas été développé en interne par Rare, mais par deux autres studios, Double Helix Games puis Iron Galaxy (qui a largement complété le jeu jusqu’en 2017). Le logo du développeur britannique est tout simplement absent du jeu, remplacé par celui de Microsoft Studios, et seule la présence inattendue de Rash (Battletoads) en combattant invité rappelle aux plus nostalgiques que Killer Instinct était initialement une licence de Rare.
Alors que le désaveu de Kinect par Microsoft ainsi que l’échec commercial de Kinect Sport Rivals sur Xbox One ont plongé Rare dans un marasme inquiétant sur fond de licenciements, 2015 marque pourtant le retour du studio, avec Rare Replay, une compilation de 30 de ses titres (hors licences James Bond, Disney ou Nintendo), de Slalom (1986) à Banjo-Kazooie – Nuts & Bolts (2008), ainsi qu’une sélection des meilleurs titres d’Ultimate (Jetpac, Sabre Wulf...). Ce bout d’histoire, même amputé d’un certain nombre de ses légendes, suffit à rappeler que le développeur a compté. Mais ça, les connaisseurs le savaient déjà !
Ce qui importe, c’est que Rare puisse proposer une nouvelle production ambitieuse, à la fois créative et solide en terme d’expérience de jeu. Aussi, quand Sea of Thieves fut annoncé en 2015, promettant d’embarquer les joueurs dans un monde de pirates (avec îles aux trésors et batailles navales), l’enthousiasme baissa certes d’un cran devant un concept vaporeux, mais la curiosité fut néanmoins entretenue.
Initialement prévu pour 2016, le jeu sort finalement en 2018 sur Xbox One et PC après un développement plutôt laborieux. La direction artistique est saluée, mais le jeu en lui-même ne s’est toutefois pas départi de son concept bancal, presque inclassable ; une aventure à vivre en communauté, mais qui n’est pas un MMO. La critique a été tiède, mais le public répond présent, bien aidé par l’intégration du jeu dans le « Game Pass », l’offre d’abonnement de Microsoft. Rare continue ainsi à être mobilisé sur ce projet, à travers deux extensions ouvrant de nouveaux horizons.
Si 2020 marque le retour - pas vraiment mémorable - de Battletoads avec une réalisation cartoon et dans un nouveau mélange de différents genres (beat them all, shoot them up, mini-jeux...), cela n'annonce pour autant pas le retour de Rare en tant que studio capable de produire 2 jeux par an, comme du temps de la N64. Plus de 25 ans après le dernier épisode de la série des batraciens, Rare n'a pas développé le jeu mais s'est contenté de le superviser. Il en sera d'ailleurs de même avec le futur Perfect Dark, annoncé sur Xbox Series, et dont le développement est confié à un nouveau studio, The Initiative.
Outre les mises à jour régulières de Sea of Thieves, le seul projet d'envergure en production au sein du studio est Everwild, un jeu présenté en 2019 dont on ne sait pour le moment que bien peu de choses, à part des trailers séduisants... et un développement bien mal engagé, qui aurait même complètement repris depuis le début. De quoi s'inquiéter pour l'avenir de ce projet.
Y-a-t-il donc quelque chose à attendre du studio anglais ? Manifestement, beaucoup se sont résignés. Pourtant, la renommée de Rare laisse des traces indélébiles dans le monde du jeu vidéo, en atteste le fort potentiel nostalgique que dégage la compilation Rare Replay. Après une longue période de sommeil créatif ayant duré près de 7 ans, Rare est revenu sous les projecteurs.
Rare, un nom qui compte encore, mais pour combien de temps ? De nombreux signes ont de quoi inquiéter : si des licences estampillées Rare sont revenues, comme Killer Instinct, Battletoads ou encore Perfect Dark, elles se font toutefois sans le studio ! Il faut désormais bien intégrer l’idée que les licences de Rare ont été récupérées par Microsoft, et ne sont plus forcément attachées au studio britannique.
Signe du déclin manifeste du studio, parler de Rare au temps présent est devenu incongru. La tendance pourra-t-elle s’inverser ?